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DISKÖ-MANIAC

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Rock, pop, electro, techno, metal, reggae, dub, chansons françaises... Bref, tout ce qui fait du bruit m'intéresse. C'est quand je veux, où je veux... Je publie mes chroniques, billets d'humeur, interviews éventuelles, décryptage, etc. En toute mauvaise foi... Bien sûr ! Frédérick Rapilly


Spirit of Eden par Talk Talk

Publié par FRAP sur 14 Septembre 2023, 23:11pm

Catégories : #Album, #Post-rock, #Artiste culte, #Groupe Culte, #Rock Legend, #Rock anglais, #album, #spleen

RETRO-CHRONIQUE (1988). Album devenu légendaire avec le temps, ces fameuses années qui passent, ce disque du trio britannique (presque quatuor, en fait) a fait fantasmer (à raison) plusieurs générations de musiciens de Radiohead à James Blake en passant par Slowdive en France par Alain Bashung ou Dominique A. Ses principaux auteurs, Mark Hollis et son complice, le musicien et producteur Tim Friese-Greene, étaient persuadés d'en vendre 4 millions d'exemplaires.    

 

…. C’est quoi ce disque ?

 Il s'agit du 4ème album studio du groupe Talk Talk enregistré pendant près d'un an dans le Studio 1 des Wessex Sound Studios situé dans le nord de Londres. Une ancienne église de style gothique dans laquelle ont prié, pardon, enregistré les Rolling Stones, The Clash, les Sex Pistols ou encore XTC. Le 11 mai 1987, le chanteur et multi-instrumentiste Mark (Hollis), le bassiste Paul (Webb), le batteur Lee (Harris) et le pianiste/producteur Tim (Friese-Green) y posent leurs affaires. Dans ses mémoires intitulées Are We Still Rolling? l’ingénieur du son Phill Brown a des souvenirs extrêmement précis du soin maniaque avec lequel le groupe investit les lieux ce jour-là et se les approprient. Le fantasque Paul Webb commence par installer autour de la batterie de son copain d’adolescence, Lee Harris, un système d’éclairage assez sophistiqué avec quatre ampoules qui s’éteignent et se rallument en fonction des sons. Il fait de même dans la salle de contrôle, là où Phill Brown va opérer les prochains mois sous les regards attentifs de Tim et Mark, en y disposant et bricolant un autre système d’éclairage dit stroboscopique produisant un effet « psychédélique. » À l’écrivain et critique musical Jim Irvin, l’ingénieur décrit cet endroit réaménagé comme un espace singulier, étonnant, cocooning, où clignotent des feux de trafic aux couleurs acidulés sur fond de boules à facettes disco. Le tout baigne dans la pénombre la majeure partie du temps. Sans oublier des myriades de bâtons d’encens qui brûlent la journée et la nuit, et embaument jusque dans les couloirs environnants. « Ce n’était pas un truc complétement dingue, genre Sex, Drugs & Rock’n’Roll, explique Phill, mais plutôt une ambiance de travail très méticuleuse. Et en plus, nous étions tous plongés dans le noir. » Un cadre de travail très spécial… La presse musicale fera plus tard des gorges chaudes de ces installations d’autant que l’enregistrement de Spirit of Eden, le 4e album du groupe, va véritablement durer des mois et des mois. Quasiment dix. Jusqu’en mars de l’année suivante où Talk Talk finit par adresser une simple cassette à sa maison de disques EMI, après avoir interdit à tous ses représentants ou ambassadeurs, et même à leur manager Keith Aspden, de passer au studio pendant toute la durée de l’enregistrement du disque.

 

… Et c’est comment ?

Comment raconter, évoquer avec des mots Spirit Of Eden ? Sa beauté se révèle, écoute après écoute, avec le temps. Fermez les yeux… Le disque débute par le déroutant « The Rainbow ». Il y a d’abord le souffle étouffé d’une trompette jazzy semblant s’échapper d’un enregistrement oublié de Miles Davis, quelques notes de piano cristallines, des bruits d’insectes, le bruit discret de l’eau qui semble glouglouter en arrière-plan. Un silence vient s’installer, déchiré soudain par les sons d’une guitare et d’un harmonica avant que vienne s’installer la frappe métronomique du batteur Lee Harris, et le lamento de Mark Hollis (« Oh yeah… The world turns upside down… »). Comme la naissance d’un arc-en-ciel selon la jolie formule imaginée par le journaliste Joseph Ghosn dans Vanity Fair. D’une certaine façon, ce premier titre préfigure déjà avec son rythme lancinant, inexorable, le trip hop mélancolique de Massive Attack mais aussi les courants dits post-rock et shoegaze à venir avec les dissonances maîtrisées d’un groupe américain comme Slint sur Spiderland, celles de Labraford sur l’album éponyme, ou les trouvailles sonores des Anglais de Slowdive sur Pygmalion, un chef-d’œuvre méconnu. D’ailleurs, tous ces groupes rendront hommage à Talk Talk d’une façon ou d’une autre. « The Rainbow » s’achève avec le même son de trompette qu’à ses débuts, puis enchaîne sans délai avec « Eden ». Une sorte d’ode élégiaque et torturée, balafrée à nouveau par des notes de guitares quasi discordantes. Tout semble sur le point d’exploser. Puis s’apaise, guidé par la frappe souple de Lee Harris. Et en arrière-plan, c’est comme si tout un monde secret avait été capté, mis sur bande, à la limite de l’audible… Le troisième morceau, « Desire », est lui-aussi enchaîné sans transition. Comme s’il figurait sur la même session. Comme improvisé à la suite. Là encore, la trompette crée une ambiance propice à l’intime, accompagné par le son d’un orgue, puis de nouveau des explosions maîtrisées, celles d’une guitare lacérée et de cymbales frappées à toute force. La voix de Mark jaillit de ça, de là… Quelque part entre un cri, un gémissement et un murmure. Comme le décrit Chris Roberts dans l’ouvrage Spirit of Talk Talk : « Un album qui aurait été touché par les anges et saccagé par des démons. Mais les anges ont gagné… » La face B de l’album démarre avec un son de cymbales, et de nouveau quelques notes de piano. Le titre « Inheritance » ne cherche pas vraiment à plaire, semble évoquer l’attrait constant de Mark Hollis pour un quasi indicible état de félicité, lié à la nature, aux éléments qui l’entourent. La musique ouvre des espaces, évoque la quiétude d’un groupe comme The Blue Nile, la majesté parfois de Scott Walker, donne à entendre des instruments singuliers comme une clarinette. On est étonnamment loin de la pop des débuts de Talk Talk, quelque part entre ambient et jazz, sans pour autant que ces étiquettes suffisent à encapsuler la musique produite par le quatuor. La frappe tout en souplesse, et inaltérable de Lee Harris pose le cadre du fragile et rayonnant « I Believe In You », comme si, malgré le thème de l’addiction à la drogue, la chanson se cherchait un chemin vers la lumière. Pendant plus de six minutes, il ne se passe quasiment rien sur ce morceau, et pourtant difficile de ne pas se faire happer par la douceur de ce titre sans refrain. Spirit Of Eden s’achève sur une prière: « Wealth ». Mark Hollis y chante, crie presque : « Take my freedom ». Ironique quand on sait à quel point l’artiste tenait à sa liberté.

 

A l’issue de l’enregistrement de Spirit of Eden, l’assistant de Phill Brown, épuisé, décida de quitter le monde de la musique. Et Paul Webb, le bassiste du groupe, s’éloigna sans faire de bruit, se plongeant pendant quelques temps dans l’univers des rave-parties, avant de rejoindre O.rang créé par Lee Harris, puis de se réinventer sous l’identité de Rustin Man. Dans une formule passée à la postérité, le journaliste Mark Cooper avait écrit à la sortie de Spirit Of Eden : « Le 4e album de Talk Talk est le genre de disque qui pousserait les hommes du marketing à se suicider. » Selon Phill Brown, l’album se serait, contre toute attente, vendu à sa sortie à plus de 500 000 exemplaires à travers le monde. Pas si mal pour une anomalie dans le paysage musical de son temps, devenue avec les années un disque culte dans lequel des dizaines et des dizaines de groupes sont allés puiser l’alpha et l’oméga de la création avec un A majuscule pour Art. Une poignée seulement y sera parvenue…

 

Frédérick Rapilly

 

Cote d’amour = 95 %

 

Spirit of Eden (EMI/Parlophone, publié le 12 septembre 1988)

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