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DISKÖ-MANIAC

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Rock, pop, electro, techno, metal, reggae, dub, chansons françaises... Bref, tout ce qui fait du bruit m'intéresse. C'est quand je veux, où je veux... Je publie mes chroniques, billets d'humeur, interviews éventuelles, décryptage, etc. En toute mauvaise foi... Bien sûr ! Frédérick Rapilly


Trisomie 21, le plus tenace des groupes de rock en France ?

Publié par FRAP sur 6 Avril 2022, 00:29am

Catégories : #Cold-Wave, #2022, #New Wave, #Electro, #Rock

Trisomie 21, le plus tenace des groupes de rock en France ?

« C’est nous qui déciderons de la fin de Trisomie 21... » Philippe Lomprez

 

INTERVIEW (2021). On était dans les années 80… Je n’avais pas encore 16 ans quand on m’a filé (qui déjà ?) un jour une K7 compilant avec soin plusieurs morceaux de groupes que je ne connaissais pas, comme c’était l’usage à l’époque, celle d’avant le streaming, d’avant Internet. Dessus, je me souviens qu’il y avait trois morceaux d’un groupe curieusement nommé Trisomie 21. Une chanson bizarre en français (Il se noie), et deux instrumentaux tout aussi étrange (La Fête Triste, Djakarta). Je me souviens d’une sensation de mélancolie mais aussi d’envie d’ailleurs à l’écoute de l’extraordinaire Djakarta avec sa guitare qui semblait venir du futur et vous inciter à partir au bout du monde. Puis, je suis tombé plus tard sur la pochette orangée de l’album Chapter IV avec sa reproduction d’une toile de Goya qui m’a emmené jusqu’au musée du Prado en Espagne. Des années plus tard, Trisomie 21 si souvent comparé à New Order, The Cure ou Depeche Mode à ses débuts existe toujours et a enchanté plusieurs générations d’auditeurs et d’auditrices avec sa musique cold wave pas si cold, ses hymnes poétiques (The Last Song, Joh’ Burg, A New Outset), et ses chansons qui dessinent ou plutôt esquissent des paysages que chacun est libre d’interpréter. Après quelques mails envoyés un peu au hasard, et des numéros de téléphone récupérés de ci de là, un jour Philippe Lomprez, le chanteur de Trisomie 21 m’a appelé. On a discuté. Pas très longtemps. Puis on a convenu de se rappeler plus longuement pour essayer de lui faire raconter plus en détail l’histoire d’un groupe un peu, et même complétement à part dans le rock français.

Commençons par le commencement… Le groupe s’appelle Trisomie 21, parfois raccourci en T21, mais quels sont les autres noms qui avaient été envisagés au départ ?

Philippe Lomprez : Aucun. D’emblée, on est parti sur Trisomie 21. A l’époque, on travaillait sur un projet artistique avec des personnes handicapées mentales à Denain, la ville dont nous sommes originaires avec Hervé, mon frère. Cela nous a beaucoup marqué. Il y avait cette idée que nous aussi, nous étions différents, très émotifs. En fait, on se considérait comme un peu à part, pas de façon supérieure, mais plutôt avec la sensation de ressentir les choses de façon exacerbée comme certains handicapés mentaux que nous fréquentions. On n’était pas bien vieux. Nous étions à la fin des années 70, début des années 80, un moment assez particulier dans la société. Nous avions envie de faire de la musique sans savoir en faire. Et nous ne voulions pas apprendre, juste en faire. J’ai choisi la batterie, et mon frère, la guitare.  D’emblée, on a essayé de composer un morceau. On ne se faisait pas d’illusion : on savait que musicalement ce serait sans doute nul mais ce premier morceau, ce serait le nôtre. Il nous appartiendrait, nous définirait aussi. Tant qu’à faire de la musique, il fallait que ce soit la nôtre. Pas celle des autres. Même si au départ, c’était surtout du bruit. Mais notre bruit…

Cette idée de composer un musique sans savoir en jouer, c’est très punk. Est-ce vrai que tu as rencontré les Sex Pistols à Londres en 1976 ?

P. L. : Oui, mais complètement par hasard. J’avais 16 ans et j’étais parti en Grande Bretagne avec un copain. Denain, Londres, c’est presqu’à côté. On marchait dans une rue de Londres quand on a croisé une armée de filles maquillées bizarrement, habillées avec des sacs plastiques. Elles suivaient deux mecs. Forcément, on a suivi les filles qui suivaient les mecs pour finir par arriver dans une petite salle de concert. Les deux mecs, c’était Steve Jones et Paul Cook (guitariste et bassiste). Et le concert, c’était celui des Sex Pistols. Tout de suite, c’est parti violemment en baston. On avait 16 ans, on n’était pas encore majeur… On a fini par se barrer. C’était très impressionnant. Ce concert, je ne sais même pas vraiment où c’était. Je crois que l’on était du côté de Picadilly Street. Le choc, c’était de découvrir qu’il était possible de faire de la musique. Sans savoir jouer d’un instrument.

Tu décides de monter Trisomie 21 tout de suite en rentrant en France ?

P. L. : Oui, j’en parle à mon frère. On vient d’un milieu petit bourgeois mais dans une région industrielle, où il  y avait des mines, avec une culture ouvrière très forte. Le contexte est assez particulier à Denain quand on se lance dans Trisomie 21. On s’était dit, avec un peu de prétention, qu’on allait toucher les gens. On n’espérait pas grand-chose, on ne rêvait pas non plus d’avoir nos noms dans les journaux, mais il y avait cette envie de faire réagir ceux qui nous écouteraient. Ce qui est amusant, dès le départ, on décide de chanter en anglais. Un anglais très simple, du « broken english » comme on dit. Il ne faut pas oublier que l’on est très proche de l’Angleterre. D’ailleurs, il y a une sorte d’ambiguïté, de paradoxe au début de Trisomie 21. On n’a pas de rêve grandiose mais voilà, contrairement à la plupart des groupes français de l’époque, on adopte la langue de l’international : l’anglais. Comme si on pressentait quelque chose. Peut-être que l’on aurait du succès ailleurs qu’en France. Nous, ce que l’on veut, c’est mettre notre musique en avant, pas nos tronches. On ne voulait pas qu’il y ait nos photos sur nos disques.

Trisomie 21, c’est quoi ? Un groupe, un duo, un collectif ?

P. L. : Un groupe. Chaque personne qui collabore au sein de Trisomie 21 est au service du groupe. Cela peut aller très loin. Je me souviens d’un guitariste que l’on a invité à jouer sur un de nos albums dans les années 90. Plusieurs fois, il vient en studio avec son ampli et sa guitare, une Gibson. Il est là, il gratouille. Cela dure deux, trois jours. Et puis un moment, on lui dit : « C’est bon, ça va aller, c’est fini. » Le gars, il n’en revenait pas : « Mais je n’ai pas encore vraiment joué sur un morceau… » Il était complètement déstabilisé alors que nous, de notre côté, on était très content de ce qu’il avait joué et de ce que nous avions enregistré.

C’est amusant, cela ressemble à la méthode utilisée par Mark Hollis de Talk Talk pour leur album Spirit of Eden…

P. L. : Talk Talk ? Désolé, je ne vois pas trop... Tu sais, je n’ai jamais écouté beaucoup de musique.

No problem. On n’est pas dans un quiz… A vos débuts, vous n’aviez pas grand-chose comme matériel, je crois même que tu as commencé à jouer de la batterie sur des barils de lessive…

P. L. : Oui. Je faisais surtout du bruit en tapant sur mes barils. Mon frère râlait parce que je couvrais le son de sa guitare. Et puis je suis devenu le chanteur de Trisomie 21. J’étais à la fois le batteur, un très mauvais batteur, et le chanteur. Et je ne chantais pas terriblement bien. On a pensé à prendre un autre chanteur mais on avait peur qu’il ne détourne notre projet initial, qu’il fasse dévier Trisomie 21 vers autre chose. Un batteur qui chante, c’est rare mais ça existe. Il y les Eagles (avec Don Henley) aux États-Unis, ou encore le groupe Magma avec Christian Vander en France. J’écoutais récemment Orelsan le rappeur à la radio. Il parlait de la collaboration entre Michel Berger et Véronique Sanson. Il disait que ce qu’il aimait chez eux, c’était les dissonances, tout ce qui était imparfait et créait de l’émotion dans une chanson. Il y a des titres de Trisomie 21 où je chante faux mais on ne cherche pas la perfection, plutôt une émotion. Et on revient au point de départ du groupe qui est le handicap, le côté cabossé. Le rock, ça peut, ça doit être rugueux parfois.

Toujours à vos débuts, vous étiez un groupe dont l’un des membres ne faisait pas de musique, ne jouait aucun instrument. Qu’est-ce que c’est que c’est que cette histoire ?

P. L. : Il s’agit d’un de nos amis proches, Jean-Michel Matuszak. A Denain, on se retrouvait dans une pièce à plusieurs avant de jouer de la musique et on discutait. Parfois d’un film que l’on avait vu. Parfois d’autre chose. On écoutait aussi un peu de musique. Cela pouvait durer pendant une, deux, trois heures. Puis, on se levait, on branchait les instruments et on faisait du boucan, notre boucan, sous le regard de Jean-Michel. Il y a un groupe qui a beaucoup fait ça aussi, mais à sa façon, c’est Depeche Mode avec le photographe Anton Corjbin. A un moment, il est devenu l’un des membres du groupe sans jouer de musique, et pourtant il a eu un impact considérable sur leur son, leur évolution. On trouvait cette forme de collaboration très intéressante, et elle a façonné le son et l’identité de Trisomie 21. Mais ce serait difficile de trouver quelqu’un aujourd’hui qui puisse avoir le même rôle avec nous. On est un peu plus connu et cela fausse le rapport aux gens.

Très vite, on vous a comparé dans la presse à des groupes Outre-Manche comme The Cure, Joy Division. Des groupes que vous ne connaissiez pas puisque leurs disques ne circulaient pas trop dans votre région… Croyez-vous qu’il y ait une sorte de synchronicité qui fait que vos musiques sont proches ? A moins que cela ne soit le contexte, l’époque, les lieux d’où vous venez ?

P. L. : La technologie, les instruments, je n’y crois pas trop. Je pense plutôt que c’est lié aux lieux, à une sorte de liberté que l’on s’autorisait aussi par rapport aux choses. La ville de Denain fait partie d’un bassin minier, on est proche de la Belgique qui est un pays assez ouvert vers l’extérieur. Il y avait aussi un contexte de lutte sociale très fort. Je pense que c’est pour cela que les musiques de The Cure, de Joy Division et de Trisomie 21 pouvaient paraître proches aux journalistes et aux gens qui nous écoutaient. Mais là où je peux me tromper, c’est qu’il y a des endroits comme le Mexique ou le Brésil où nous avons eu beaucoup de succès alors qu’objectivement, on est très loin du climat du nord de la France ou de l’Angleterre. Je ne parle pas que du temps, je veux dire aussi socialement, culturellement.

Dans Trisomie 21, il y a aussi une dimension visuelle, esthétique, évidente. Comment est-ce que le peintre Goya s’est invité sur la couverture de votre album Chapter IV – Le Je-Ne-Sais Quoi Et Le Presque-Rien en 1986 avec l’une de ses œuvres, Saturne dévorant un de ses fils, qui est exposée aujourd’hui au musée du Prado à Madrid ? Pour te dire, j’ai visité le musée quand j’étais adolescent juste pour la voir après vous avoir beaucoup écouté et avoir examiné, scruté un temps infini cette pochette de disque…

P. L. : Si je me souviens bien, on était en train de finir d’enregistrer le disque et Jean-Michel nous montre alors une photo de ce tableau. On trouve l’image à la fois belle et dérangeante. Elle met mal à l’aise. En la découvrant, on a eu un coup de cœur. Comme pour le titre du disque, Le Je-Ne-Sais Quoi, qui est une allusion à l’œuvre et à la pensée de Jankélévitch (musicologue et philosophe) dont je suis tombé amoureux. On a demandé à notre maison de disques de l’époque (Pias) de nous faire une proposition graphique. On l’a gardée. Plusieurs morceaux sur l’album étaient assez expérimentaux. Il fallait que les gens fassent un effort pour nous écouter. Il y avait une notion d’inconfort. Comme celle que je t’évoquais à nos débuts.  On a toujours fait ça. Notre premier disque, Le Repos des Enfants Heureux, était conçu comme un mini-album avec une face en version 33 tours et une autre en version 45 tours, ce qui obligeait les gens à se lever pour changer la vitesse d’écoute du disque sur la platine pour nous écouter comme il le fallait. On se disait qu’on créait ainsi une interaction avec notre audience.

Avez-vous eu des problèmes pour avoir utilisé cette image de Goya ?

P. L. : Aucun.

As-tu une idée précise du nombre de disques que vous avez enregistré et publié (a priori 22 albums studios, live et compilations, et 6 EP) ?

P. L. : Non, pas vraiment. Et cela ne m’intéresse pas beaucoup de le savoir. A vrai dire, je m’en fiche.

Et le nombre de disques que vous avez vendu depuis vos débuts ? Un article sur un site Internet avançait le chiffre assez impressionnant de plus d’un million d’albums en quarante et quelques années de carrière…

P. L. : Je ne connais pas le chiffre précis. Cela peut paraître prétentieux ou passer pour un déni d’ordre psychanalytique mais comme je te l’ai dis, je m’en fous un peu. Plus d’un million d’albums vendus, c’est possible mais comment le savoir. On a longtemps été un groupe underground, nos disques et nos concerts ont été si souvent enregistrés, piratés. En France mais aussi dans le reste du monde. Les gens se faisaient des cassettes qu’ils copiaient pour les autres, et s’échangeaient. Maintenant il y a le streaming. Tout ce que je sais, c’est que je ne possède pas de yacht à Denain. Je me demande d’ailleurs bien où je pourrai le mettre à quai si j’en avais un… (sourires)

Avez-vous quelque part, planqués sur un ordinateur ou dans un coffre-fort, des disques inédits, jamais publiés ?

P. L. : Non. Tout ce qui devait sortir est sorti.

Le morceau Djakarta, parfois nommé aussi Jakarta, fait partie de mes préférés, et je ne suis pas le seul à l’aimer dans votre discographie. Comment est-ce que cette chanson sans paroles, à part un très sonore « Djakarta ! » lancé en introduction, est née ?  Est-ce que ce titre aurait aussi bien pu s’appeler Istanbul, ou Tombouctou pour rester dans les noms de villes étrangères, comme un autre de vos morceaux, Joh’ Burg en référence à Johannesburg en Afrique du Sud ?

P. L. : Jean-Michel avait été voir le film L’Année de Tous les Dangers (de Peter Weir, 1982). L’histoire se déroulait en Indonésie pendant un coup d’Etat. Il y avait ces types qui étaient photographes, qui prenaient des photos de vraies gens et s’accaparaient leur histoire. Ces photos étaient ensuite publiées et on racontait quelque chose dessus. Mais est-ce que c’était la vérité, leur vérité, une vérité parmi d’autres ? On a beaucoup discuté de ce sujet et réfléchi à cette question. C’est comme ça que l’instrumental est devenu Djakarta. Mais cela aurait pu être une autre ville, un autre endroit. Je n’ai jamais été en Indonésie, mon frère y a séjourné. Mais je ne sais pas s’il est passé par Djakarta.

Trisomie 21 existe depuis 1978, ce qui en fait avec Marquis de Sade (devenu Marquis) ou Indochine, un des groupes de rock français ayant la plus grande longévité. Qu’est-ce que cela t’évoque, t’inspire ?

P. L. : Une certaine fierté. Surtout qu’il y a non seulement la longévité mais qu’elle est allée de pair avec la production d’un certain nombre de disques. On s’est souvent mis en danger. On a pris des risques. On a eu au moins deux vraies fractures avec les maisons de disques. La première, c’est avec Pias au moment de la sortie de Chapter IV (en 1986). Ils n’étaient que 6 ou 7 dans le label et clairement, ils ont été dépassés par le succès du disque. Ils nous l’ont dit après : « On a raté T21. » On était heureux que ça marche mais on manqué le coche à l’époque où il y avait un vrai début d’intérêt en France pour le groupe. Tout ça monte un peu à la tête, et au moment de la sortie du EP de Joh’ Burg, le bassiste (Laurent Dagnicourt) et nous, on décide de se séparer. Le label, Pias, le vit très mal quand on leur dit : « On continue, on va faire sans bassiste. » A cette époque, tous les groupes comme The Cure ou New Order sont marqués par la présence d’un bassiste (Simon Gallup pour The Cure, Peter Hook pour New Order). Nous, on leur explique que l’on va s’en passer. Et là, on sort le disque Million Lights (A Collection of Songs By Trisomie 21) en 1987. A nouveau, ça marche. Et à nouveau, le label n’assure pas. Une fois, deux fois… On se dit qu’il n’y aura pas de troisième fois. Et bien si. C’est avec l’album T21 Plays the Picture en 1989, qui était prévu pour un tirage limité avec la société MGM. Pias nous avait mis sur le coup mais n’y croyait pas vraiment. C’était un disque très instrumental pour des musiques plutôt destinées au cinéma. Mais Pias nous appelle : les précommandes avaient explosé. Elles avaient été multipliées par trois. Ils ne savaient pas comment réagir. On avait manqué de nouveau le coche. Il aurait suffit alors d’une simple campagne de publicité… C’est comme si Pias ne nous avait jamais vraiment compris, et n’avait pas su nous mettre en valeur tout au long de notre collaboration avec eux. En ça, on partage quelques points communs avec le groupe suisse The Young Gods que l’on a appris à connaître assez tard, alors qu’ils étaient aussi signés chez Pias. Mais il y avait une sorte de compétition qui était entretenue par le label avec eux et d’autres (The Cassandra Complex, The Neon Judgement, Front 242, Dole, The Weathermen, Meat Beat Manifesto…). On s’en est rendu compte lors d’un festival très metal, le Motocultor Festival, près de Vannes en Bretagne dans le Morbihan où l’on partageait la scène avec les Young Gods (lors de l’édition 2018). Ils sont venus nous voir aussi en concert lorsqu’on passait en Suisse. C’est un peu l’amicale des précurseurs de la Cold Wave…

Dans les années 80, 90, vous sentiez-vous des affinités avec des groupes ou des artistes comme Front 242, Anne Clark, etc. ?

P. L. : Pas vraiment. On n’a jamais eu de projet commun avec d’autres groupes, à part lorsque l’on a proposé à Blaine L. Reininger, le violoniste du groupe Tuxedomoon de participer à l’album Distant Voices (sur les titres Shine Ola, Again And Again, Distant Voices, sortis en 1992). On s’était croisé plusieurs fois à nos débuts, avec les gens du groupe suisse Yello aussi ou encore ceux du groupe The Residents. Ce qui a changé les choses avec Tuxedomoon, c’est que nous partagions un local de répétition à Bruxelles. Ils avaient un studio au dessus de nous. On a pu les voir répéter. C’était assez proche de notre façon de faire. Ils avaient un talent de zinzin. D’ailleurs, c’était assez fascinant d’être là dans un coin à les observer.

Comment créez-vous, enregistrez-vous les morceaux de Trisomie 21 aujourd’hui ?

P. L. : Il y a une forme de magie, un truc un peu indicible. Comme une forme de nuage qui flotte au-dessus de nous. Ca commence à se mettre en place au niveau du son. Moi, j’écris de mon côté des textes souvent très longs. Mais parfois, il n’en restera quasiment rien. Une anecdote : sur l’album Works, mon frère me demande de faire une voix sur un instru qui nous restait. Je n’avais pas de texte. Il me dit : « Fais du yaourt. » J’ai noté quelques phrases, des mots, des sonorités, des trucs sans queue ni tête. Et j’ai chanté. Et on l’a gardé. C’était un truc dans le moment. En ce moment, j’écris des textes. Je peux être inspiré aussi bien par la lecture de Georges Simenon ou de Victor Hugo…

Avez-vous parfois l’impression d’avoir été un peu les enfants maudits ou les poètes maudits du rock français ?

P. L. : Non. Il suffit que quelqu’un comme toi me dises que Djakarta l’a fait rêver, emmené en voyage, et je suis juste ravi. Je n’en reviens pas de voir parfois ce que certains fans peuvent faire pour nous suivre. Une fois, on était à Toronto au Canada en concert. A la fin, je discute comme d’habitude avec des gens qui étaient restés pour nous rencontrer. Il y avait ce mec, un collectionneur d’art sans doute très fortuné qui avait pris un billet d’avion depuis l’Afrique du Sud jusqu’au Canada pour nous. Il ne nous avait jamais vu en concert, et pensait que nous ne tournions plus. Quand il a vu que l’on jouait à Toronto, il s’est fait un gros plaisir. J’en suis encore étonné. Après, vu le nom que l’on s’est choisit au départ, on avait un peu tout fait pour devenir « maudits. » C’est un peu de notre faute… A Paris, je sais que le journaliste Christophe Bourseiller a essayé de parler de nous à la radio. Sur France Inter, je crois. Sans grand succès. Récemment, un jeune groupe, Rendez-vous, avec qui on passait du temps a été invité, toujours sur France Inter. Très gentiment, ils nous ont dit : « Mais c’est vous qui devriez être à notre place ! » Alors, ils sont allés à l’émission avec des T-Shirts Trisomie 21. Mais personne n’a pensé à leur demander pourquoi. On a l’habitude maintenant. On s’en « plaint » sans s’en plaindre. On est « maudits » mais on mord encore !

Au début des années 2000, vous avez été sollicité par Indochine pour un remix du titre Le Grand Secret. Quelles étaient vos relations avec le groupe ?

P. L. : Je les connaissais mais sans plus. Un jour, j’apprends qu’un certain Oli de Sat (guitariste d’Indochine, et compositeur de nombreux titres du groupe Indochine) avait contacté mon frère pour lui proposer de faire quelque chose. On n’existait plus, nous n’avions plus de label… On lui dit : « Mais si vous mettez un titre avec le nom Trisomie 21 sur un de vos disques, vous allez avoir des problèmes ! » Oli nous répond : « On le mettra, et on assumera. » Et il nous parle du morceau La Fête Triste qu’il adore. On n’est pas trop du genre à faire des remix ou à faire des reprises, mais là, pour lui, on a accepté. Et on n’en a plus entendu parler jusqu’à ce que cela sorte (sur une version rare du single Le Grand Secret en 2003 avec un autre remix de Tricky, puis sur l’album Paradize + 10 en 2012) et que l’on entende à nouveau des commentaires étonnés du genre « Mais Trisomie 21, ils existent encore ? »  

Et vous n’avez jamais refait d’autres collaborations avec eux ?

P. L. : Non. Mais on n’a pas non plus cherché à les reprendre contact. On est assez anxieux par rapport à notre musique. On a toujours eu un peu peur de perdre notre sève dans des projets extérieurs. On a juste fait deux ou trois trucs très confidentiels avec le fan-club de Depeche Mode.

As-tu une idée du nombre de groupes qui se sont formés en s’inspirant de Trisomie 21 ?

P. L. : Pas du tout. Beaucoup de gens, d’artistes nous ont fait ce genre de remarque : « Si vous n’aviez pas existé, je me serai jamais lancé dans la musique. » Ca flatte l’ego mais surtout ça fait plaisir. Du côté de certains DJ ou d’artistes liés aux musiques électroniques comme The Hacker, Daft Punk ou Miss Kittin, on nous parle souvent de nos morceaux La Fête Triste ou The Last Song. Un soir, dans un club à Los Angeles, on a fait un concert (le 17 mars 2019, à l’Echoplex). Il y avait vraiment beaucoup de monde, et les gens pleuraient lorsqu’on a joué le dernier morceau The Last Song. Ca m’a retourné que ce titre puisse encore toucher des gens si longtemps après sa sortie et que l’on soit au bout du monde, en Californie. Une autre fois, une femme est venue nous voir après un concert pour nous expliquer que son compagnon venait de mourir et qu’il nous adorait. Elle avait pris un billet en pensant à lui. Elle a été tellement touchée qu’elle est revenue quinze jours après. J’ai beaucoup d’histoires comme ça. On fait très attention à passer un peu de temps après les concerts avec les gens qui ont pris la peine de venir nous voir.

Selon une légende mais peut-être est-elle vraie, Trisomie 21 a eu un vrai tube au Brésil mais vous ne l’avez découvert que très tard, deux décennies après sa sortie. Peux-tu m’en dire plus, me confirmer cette histoire ?

P. L. : Elle est vraie. Comme le fait que nous étions été classé numéro 3 ou 4 des ventes au Canada, ou plutôt au Québec, avec La Fête Triste derrière Grace Jones dans les années 80. Pour le Brésil, il s’agit du morceau Breaking Down qui figure sur notre premier mini-album (Le Repos Des Enfants Heureux, 1983). On l’avait enregistré rapidement, et il s’est retrouvé un peu au dernier moment sur le disque. Très tôt, on a reçu du courrier de fans venant du Brésil sans trop comprendre comment ils avaient entendu parler de nous. Un jour, dans les années 2000, on est invité pour un festival à Sao Paulo. On nous colle des gardes du corps et tout le bazar. On est un peu étonné, et on se dit que c’est quand même chaud l’Amérique du Sud. Au concert, il y avait facilement 2000 personnes surexcitées. Un moment, j’enlève les oreillettes, et j’écoute la foule. Les gens connaissaient les paroles de Breaking Down par cœur. On n’en revenait pas. C’était un moment assez extraordinaire pour nous. On n’a jamais trop su comment nos disques étaient arrivés au Brésil mais il y a une scène cold wave assez importante et méconnu des Européens là-bas. On est retourné plusieurs fois jouer au Brésil. Pareil au Mexique. En 2019, on reçoit un appel nous demandant si l’on pouvait venir jouer à un festival ayant une grosse notoriété locale (Foro Indie Rocks !) pour remplacer au dernier moment un autre groupe, Lebanon Hanover, qui avait du se désister pour je ne sais quelle raison. Sur place, c’était un peu la folie avec la police mexicaine en mode Terminator, mitrailleuses, pickups blindés, très impressionnants. Sur scène, on a fait un triomphe auprès d’un public très jeune et enthousiaste. Au point que les organisateurs pour nous remercier nous ont emmené en excursion trois jours dans la région.

Je reviens sur les comparaisons que vous avez eu à vos débuts pour votre son, votre attitude, avec des groupes de la scène cold wave ou new wave britannique. Avez-vous noué des liens avec eux au fil des années ?

P. L. : Pas vraiment. Je sais que New Order nous connaît. Un ami photographe m’a raconté qu’il avait donné à Bruxelles un livre de ses photos de concerts à Barney (Bernard Summer), l’un des cofondateurs du groupe (ainsi que de Joy Division et plus tard Electronic), et qu’il a passé un moment à examiner mon portrait qui y figurait. Il a expliqué ensuite qu’il avait entendu parler de moi et de Trisomie 21, et qu’il était curieux de nous découvrir. Je crois savoir que Depeche Mode nous connaît aussi mais on ne s’est jamais rencontré.  Pour l’anecdote, on n’a jamais donné de disque à personne, mais un jour, mon frère m’appelle et me demande : « Je dois déjeuner avec Yannick Noah, est-ce que par correction je lui donne un de nos albums au cas où il me demande ce que je fais ? » Je dis à Hervé : « Si tu veux… » Il me rappelle quelques temps plus tard et il me raconte que Yannick Noah l’interrogeait poliment pour savoir ce qu’il faisait dans la vie. Hervé lui dit alors qu’il fait partie de Trisomie 21, s’attendant à susciter des questions, et prêt à lui donner un disque. Mais Yannick lui sort : « Non, non, pas la peine je vous connais, et j’ai adoré votre dernier album. » Il était fan. C’est inattendu. Mais il nous arrive souvent des histoires comme ça. Un soir, c’est un patron de la radio BFM qui me lance « Vous êtes un dieu vivant. » Là, tu restes un peu scotché et tu ne sais plus trop quoi dire.

Est-ce qu’il est question d’un album à venir du genre Tribute to Trisomie 21 comme il en existe pour The Cure, Joy Division ou Depeche Mode ?

P. L. : Je sais que des artistes solo et des groupes (Crying Vessel, Paolo, Blind Belon, Robi, Le Silence des Ruines, Barbie Chêtif, Gévaudan…) ont repris certains de nos morceaux mais je ne souhaite pas spécialement que ce genre de disque voit le jour.

Et votre prochain disque, sachant que l’album Elegance Never Dies remonte déjà à 2017 ?

P. L. : On n’a rien en préparation en ce moment. D’ailleurs, je ne suis pas sûr qu’il y aura un jour un nouvel album de Trisomie 21. On veut pouvoir décider quand on mettra fin au groupe, l’officialiser, et pas subir ce genre de chose. On a toujours maîtrisé notre destin. On a un concert prévu à Paris le 12 février mais vu la pandémie, les événements, il pourrait très bien être reporté. Donc, on verra… Mais on a toujours envie d’écrire, de composer, peut-être pour un projet différent. Pour les fans, je signale à ceux qui, peut-être, ne l’avaient pas remarqué, mais c’est un peu normal : les trois lettres majuscules de notre dernier album, Elegance Never Dies, forment le mot END.

 

Propos recueillis mi-décembre 2021 par Frédérick Rapilly mi-décembre 2021

(A noter qu'une version raccourcie de cette interview est parue dans le fanzine Twice, début 2022)

 

 

 

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