INTERVIEW (2020). On l’oublie souvent mais Simply Red, le groupe dont le rouquin Mick Hucknall est à la fois l’âme et la voix d’or, est originaire de Manchester et aussi un contemporain de New Order ou des Smiths. A l’occasion de la sortie de Blue Eyed Soul (BMG), son douzième album, nous avons rencontré son leader qui malgré ses origines irlandaises (par sa mère), goûte toujours plus la Soul Music que la musique celtique. Mais il a une très bonne explication pour motiver ce choix…
Comment vous expliqueriez à un Français qui n’en aurait jamais entendu parler ce qu’est ce concept très anglo-saxon de « Blue Eyed Soul » qui donne son nom à votre dernier album ?
Mick Hucknall : Et bien, cette musique que l’on appelle la Blue Eyed Soul est issue d’une longue tradition qui remonte au début du XXème siècle. De mon point de vue, le premier chanteur de Blue Eyed Soul est Bing Crosby (né en 1903 aux Etats-Unis) qui a travaillé avec des artistes noirs comme Duke Ellington et Louis Armstrong. Ensuite, il y a Frank Sinatra qui a travaillé avec Count Basie. Et puis, on arrive dans l’univers d’Elvis Presley qui a popularisé le blues, une musique afro-américaine, puis les Beatles, les Rolling Stones… Tous ces artistes ont été influencés par le blues et la Soul Music. Idem pour le groupe Led Zeppelin. Moi dont le premier disque remonte à 1985 (Picture Book), j’ai aussi été très marqué par ces musiques, la Soul des 70’s, Marvin Gaye, le Philadelphia Sound, Al Green, ce genre d’artistes… C’est de là que vient la musique de Simply Red. J’aimais, et j’aime toujours aussi un style plus urbain comme Otis Reding ou Wilson Pickett.
Vous êtes connu à travers le monde entier comme un chanteur Soul/Funk mais vous avez débuté comme leader d’un groupe punk à Manchester, The Frantic Elevators. Qu’est-ce qui vous a donné l’énergie de monter sur scène ?
Mick Hucknall : L’unique concert des Sex Pistols à Manchester en 1976 (le 4 juin). J’y étais. Je faisais partie d’un groupe au lycée mais cela restait quelque chose du domaine de la curiosité, de l’exploration. Mais après avoir vu les Sex Pistols et les Buzzcoks, qui était un groupe de Manchester et jouait aussi ce soir-là, en voyant donc ces gens qui n’étaient pas des superstars, mais des personnes ordinaires qui savaient à peine jouer de leurs instruments, je me suis dit : « Mais moi aussi, je peux faire ça. Monter sur scène et chanter. » Ils ont servi d’étincelle (ce concert a aussi servi de déclencheur aux futurs Joy Division/New Order ou encore à Morrissey pour lancer plus tard les Smiths). Le style de musique n’était pas si important, mais c’est la simplicité de la démarche qui comptait. Les Sex Pistols et les Buzzcoks nous ont rendu la musique accessible. A partir de ce moment, moi et mon meilleur ami Neil (Smith, guitariste), nous avons commencé à nous dire : « Allons-y ! Montons un groupe. » Et nous avons commencé à écrire des chansons dans ma chambre dont Holding Back The Years. Voilà comment ont débuté les Frantic Elevators qui ont, plus tard, donné naissance à Simply Red.
Beaucoup de groupes devenus aujourd’hui célèbres sont nés à Manchester, comme Joy Division qui est ensuite devenu New Order, mais aussi Oasis. Comment se fait-il que Simply Red soit resté un peu à part de la scène punk, post-punk et rock et n’ait pas suscité d’émules ?
Mick Hucknall : Pour une raison très simple, c’est que dès nos débuts nous avons eu un succès à l’international. Du jour au lendemain, Simply Red s’est retrouvé dans le top ten en Australie (Picture Book s’est aussi classé numéro 2 des ventes en Grande-Bretagne). Nous étions connu en France, aux Pays-Bas, en Suisse, aux Etats-Unis. Nous étions de Manchester mais notre musique n’était pas perçue comme venant de cette ville en particulier, au contraire de Joy Division avec Ian Curtis ou des Smiths avec Morrissey.
Vous souvenez-vous du premier disque que l’on vous ait offert ou que vous ayez acheté ?
Mick Hucknall : Je crois bien que c’était un disque des Beatles, A Hard Day’s Night. Je devais avoir 4 ou 5 ans quand on me l’a offert. Après, mon père qui savait que j’adorais la musique m’avait acheté un tourne disques. Je pense que le premier album que je me suis procuré était Sticky Fingers des Rolling Stones. Là, je devais avoir 11 ans. Plus tard, j’allais faire les marchés le samedi matin, et je faisais le tour des étalages où des gens proposaient des disques pas trop cher. J’achetais des 45 tours de Tamla Records (Marvin Gaye, Stevie Wonder, Smokey Robinson).
Et votre premier souvenir de concert ?
Mick Hucknall : Ce qui me vient en tête là, tout de suite, c’est un concert à nos débuts où l’on commençait à être un peu connu et l’on faisait la première partie de James Brown (Hammersmith Odeon, les 25, 26 et 27 mai 1985, à Londres). D’un coup, je l’ai aperçu qui nous observait depuis les coulisses Et je m’en souviens que la seule chose que j’avais en tête, c’est : « Mon Dieu, James Brown est là, et il a des bigoudis dans les cheveux ! »
Vous avez pas mal de sang celte qui coule dans vos veines, et pourtant Simply Red n’a jamais été attiré vers les sonorités de la musique celtique. Pour quelles raisons ?
Mick Hucknall : Je suis un celte, ça s’est sûr. Même si mon nom, Hucknall, est très anglo saxon. Mais ma famille vient de la région de Cumbria, juste en dessous de l’Ecosse. Toute cette partie de la Grande-Bretagne est restée très celtique jusqu’à aujourd’hui, préservée, mais même si j’adore la musique irlandaise, j’étais plus intéressé, on peut dire même motivé, par les notes incroyables que produisait Aretha Franklin quand elle chantait. J’ai toujours été plus inspiré par la Soul parce qu’il y avait cette notion de défi. Je voulais aussi arriver à chanter comme elle, à appliquer cela dans ma musique. Et c’est pour cela que Simply Red a toujours été un groupe connu au niveau international, car d’une certaine façon, nous faisions ce que l’on peut appeler de la World Music. Je n’étais pas qu’un petit musicien venu de Manchester, il y avait une autre dimension beaucoup plus ouverte dans ce que nous faisions, dans ce que je chantais.
Comme si vous cherchiez à vous échapper aussi de Manchester, non ?
Mick Hucknall : Je n’y avais jamais pensé mais vous avez raison. Plus encore que tout ça, j’aimais vraiment cette musique Soul, la passion qu’elle véhiculait, l’humeur dans laquelle elle vous projetait.
Quand vous aviez 17 ans, l’âge où vous avez écrit Holding Back The Years, quel était votre rêve ? Devenir une popstar ? Un musicien ?
Mick Hucknall : Sans doute un peu des deux. J’espérais surtout que je travaillerais dans la musique, que j’écrirais des chansons. Je ne me doutais pas que nous aurions autant de succès (plus de 60 millions d’albums vendus à ce jour). L’amour de la musique est toujours là. J’en écoute toujours autant. J’adore mon job, mon travail, monter sur scène, les sourires des gens, entendre mes chansons reprises par le public. C’est juste un sentiment incroyable.
Je crois qu’il y a une histoire un peu spéciale qui se cache derrière la chanson Complete Love qui figure sur Blue Eyed Soul ?
Mick Hucknall : Oui, le morceau a été enregistré dans l’esprit des disques Stax, en pensant à Otis Reding, Wilson Pickett, et il est inspiré des paroles d’une chanson de Nat King Cole qui s’appelle Nature Boy, qui dit « The greatest thing you’ll ever learn is just to love and be loved in return… » Aujourd’hui, j’ai une famille, un femme et une fille, ce que je n’avais jamais eu avant. Quand j’étais gamin, il y avait juste moi et mon père. Maintenant, j’ai à mes côtés une femme extraordinaire, une fille que j’adore, et même un chien qui est en fait une chienne, je suis entouré de femmes. Et je pourrai dire plus tard que j’ai aimé et que j’ai été aimé. J’ai trouvé le « Complete Love. » C’est le message très simple de cette chanson.
Est-ce exact que lorsque vous avez commencé à exploser au niveau mondial, certains Américains pensaient que le chanteur de Simply Red était une chanteuse noire ?
Mick Hucknall : Oui, et ils étaient très déçus en me voyant débarquer. A l’époque, personne ne savait vraiment à quoi nous ressemblions. J’ai atterri à l’aéroport de JFK, près de New York et je suis allé rencontrer le patron de la maison de disques. Quand il m’a vu, il a juste : « Un rouquin qui chante ? » Aujourd’hui, il y a moi et Ed Sheeran mais pas dans ces années-là. Deux radios américaines m’ont dit, chacune de leur côté, vous êtes trop blanc pour les noirs, et trop noir pour les blancs. Le système était, et reste très séparé. Ca m’a vraiment attristé, et déçu. En Europe, il n’y a pas une telle séparation. L’intégration est beaucoup plus forte.
Votre fille, Romy, a 12 ans. Je me demandais si elle s’intéressait à votre musique, si vous chantiez en famille ?
Mick Hucknall : Elle dessine beaucoup, comme moi. D’ailleurs, j’ai fait des études de peinture. Mais ses artistes favoris sont Queen et Pink. Elle adore aussi Freddie Mercury. Je suis ravi et très fier que ma fille ait de bons goûts musicaux. Sur Blue Eyed Soul, son morceau préféré est Riding on a train, mais vous savez quand je rentre chez moi et que la porte de la maison se referme, je ne suis plus Mick Hucknall, le chanteur de Simply Red, je suis juste : « Dad. » Le reste ne l’intéresse pas trop, et c’est tant mieux.
Si vous rencontriez aujourd’hui le gamin de 12 ans que vous étiez, que lui diriez-vous ?
Mick Hucknall : Je ne sais pas. Je sais juste que le garçon que j’étais en 1985 et qui enregistrait son premier album, Picture Book, aimerait vraiment Blue Eyed Soul. Il n’aimerait pas tous mes disques, mais celui-ci lui plairait.
Et avec l’expérience, en considérant votre nom d’artiste et celui de votre groupe, Simply Red, vous n’avez jamais eu de regrets ?
Mick Hucknall : J’ai toujours été surnommé Red. Quand on a lancé le groupe, j’ai eu une discussion avec mon manager à propos de notre nom et j’ai dit : « Pourquoi on ne s’appellerait pas juste Red ? » Il m’a répondu : « Les gens voudront un peu plus, un préfixe devant. » J’ai proposé : « Just Red. » Il m’a dit alors : « Pourquoi pas Simply Red ? » Je trouvais ça bizarre. Je lui ai lancé : « Ok, mais je te parie qu’après quelques mois, tout le monde nous appellera Red. » Il avait raison, et j’avais tort.
* Simply Red, en concert au Zénith de Paris, à La Villette, le 13 novembre 2020
Propos recueillis par Frédérick Rapilly (novembre 2019)