RETRO-INTERVIEW (2002). Il est le seul musicien techno à plaire à toutes les générations. En France, son dernier album Play avait réconcilié les amateurs de blues et de musiques électronique, séduit le grand public en dépassant le million de ventes (10 millions dans le monde), se classant même numéro 1 des ventes dix semaines de suite. Rencontre en 2002 à Paris avec le New Yorkais Richard Melville Hall, dit Moby en hommage à son lointain ancêtre l'écrivain Herman Melville (auteur de Moby Dick), alors que sort son nouvel album intitulé 18. Encore plus consensuel…
Quelle est l'histoire la plus étrange qui vous soit arrivé depuis que vous faîtes la couverture des magazines ?
Moby : Je me souviens que lorsque l'album Play a vraiment commencé à marcher, j'ai fait un concert à New York. Dans la salle, un moment j'ai vu Madonna et Gwyneth Paltrow qui dansaient ensemble. J'ai dû me pincer pour y croire.
On vous reconnaît désormais dans la rue ?
M. : Non, heureusement pour moi il y a des millions de petits bonhommes chauves qui me ressemblent. Parfois des inconnus m’arrêtent et me disent : "Tu sais que tu as un vague air de famille avec Moby, le musicien techno ?" Et je réponds : "Ouais, ouais, on me le dit souvent !" (Rires).
Vous avez ressenti de la pression au moment de commencer à enregistrer le successeur de Play ?
M. : Plutôt un sentiment de responsabilité. Je n'ai pas envie de décevoir tous ces gens qui ont aimé ce disque. J'ai beaucoup changé. J'avais déjà connu le succès en 1991 avec Go qui s'était vendu à plus d'1 million de copies dans le monde, je m'étais même retrouvé numéro 1 devant Michael Jackson. Et puis j'avais tout bazardé en devenant agressif, en enregistrant un album de musique punk jusqu'au-boutiste (cf. Animal Rights sorti en 1996). Je ne pensais pas avoir une deuxième chance.
Est-ce exact que vous venez de collaborer avec les héros de votre adolescence, le groupe anglais New Order, pour la bande originale d'un film présenté à Cannes (NDLR : 24 hours party people) ?
M. : Effectivement, j'en suis très fier. On a enregistré ensemble une reprise de New Dawn Fades de Joy Division pendant un concert en Californie avec Billy Corgan, le chanteur des Smashing Pumpkins. Mais c'est moi qui chante sur le morceau.
Vous aviez déjà fait une reprise du thème musical de James Bond. Cette fois, c'est Madonna qui chantera sur la bande originale du prochain 007. Les producteurs du film ne vous avaient pas recontacté ?
M. : Si, si, ils ont même beaucoup insisté mais j'estime que j'ai déjà donné (NDLR : le morceau James Bond Theme s'était classé numéro 8 des ventes en Grande-Bretagne en 1997). Et puis je n'en ai plus vraiment besoin maintenant...
Et que devient la nouvelle version de votre tube Why does my heart enregistrée en secret avec Elton John ?
M. : Elle est encore dans un tiroir (aujourd’hui, on peut entendre et voir une version live sur YouTube). Il faut que je la finalise, mais vous l'entendrez un jour. Je vous le promets. J'ai adoré travailler avec Elton John, c'est toujours intéressant de se confronter avec ce genre de musicien. Il reste un modèle pour les gens de ma génération. Je me souviens aussi d'un moment de grâce incroyable le soir où j'ai joué avec David Bowie en concert.
Vous vous considérez toujours comme "le pathétique résultat" d'années de consanguinité ?
M. : Plus que jamais ! J'ai 37 ans (53 ans, aujourd’hui !) et le crâne déjà lisse comme un vieillard, je perds mes dents, j'ai mal partout. Je suis persuadé que si je veux avoir un jour des enfants, et qu'ils aient une chance d'être en bonne santé, je devrais m'unir avec une jeune femme d'une culture très éloignée de la mienne : black, malaise, asiatique… Malheureusement, je ne l'ai pas encore rencontrée.
Le titre de l'album 18 aurait de multiples sens cachés selon votre maison de disques : la Kabbale, X-Files, etc ? Ne serait-ce pas plutôt une stratégie marketing ?
M. : Oui dans le sens où je voulais un titre qui puisse se prononcer dans toutes les langues. Mais je me suis aussi amusé à trouver toute une flopée de sens plus ou moins ésotériques à ce nombre. Il paraît aussi qu'en hébreu « 18 » c'est aussi le mot « vie ». Et pour les friands de théories du complot et de petits hommes verts, il y a The Area 18 qui est une zone interdite de survol aux Etats-Unis. Enfin, c'est tout simplement la moitié de l'âge que j'avais quand j'ai commencé à l'écrire : 36 ans !
À 18 ans, vous faisiez partie de la scène punk new-yorkaise avec un groupe nommé Vatican Commandos. Vous êtes resté en contact avec ses membres ?
M. : Oui, j’en vois encore certains comme les Sonic Youth qui répètent dans un studio qui m’appartient, ou le groupe de rap Beastie Boys avec qui je suis resté très ami. Mais à l’époque je ne pensais pas vivre un jour de ma musique. J’étudiais la philosophie à l’université avec la vague idée de devenir professeur. Je préparais même un mémoire sur Ludwig Wittgenstein, auteur du Tractatus Logico-philosophicus. Et puis j’ai tout laissé tomber. La vie est étrange, et vous fait prendre des chemins que l’on n’avait pas imaginés.
Quand vous étiez en concert, on vous crachait dessus comme c'était la coutume à l'époque ?
M. : Non, non (rires). La pratique du mollard était typique des punks anglais. Elle n'a jamais gagné les rives de l'Amérique, du moins à ma connaissance (sourire).
Entre les albums Play et 18, le son n’a guère évolué. On s’attendait d’après plusieurs de vos déclarations à quelques choses de plus révolutionnaire…
M. : Ah, bon ? C’est vrai que j’ai voulu faire un disque très mélodique, très réconfortant. Vous savez, j’ai grandi avec le son punk rock. Pendant longtemps, j’avais en tête de choquer les gens. Je voulais rester underground. Et bien j’ai changé, spécialement avec ce qui s’est passé le 11 septembre. C'était mon anniversaire. J’habite à côté des deux tours jumelles, et j’ai tout vu. C’était horrible. Ça m'a renforcé dans mon envie d’être moins autiste, égoïste et d’être entendu, et écouté de tout le monde. En Amérique, en France, en Asie, partout…
Vous aviez déjà connu le succès en 1991 avec le single Go. Que seriez-vous devenu si aussitôt après, de nouveau, vous aviez connu la même réussite commerciale ?
M. : Un petit con ! Un gros même. J’étais si vaniteux à l’époque. Je voulais à la fois avoir de la personnalité, et rester un musicien anonyme. J’admirais, j’admire encore d’ailleurs, John Coltrane, Joy Division. C’était mes modèles. J’ai grandi, j’ai mûri. Je n’ai plus de complexes à être populaire.
Si on vous donnait l’opportunité d’enregistrer un disque uniquement composé de reprises, quel serait votre Top 5 ?
M. : J’aime bien cette question. Elle est difficile pour un fan de musiques comme moi… Je dirais : I can't explain des Flamin' Groovies un groupe oublié que j'adore, Jealous Guy de John Lennon, Song for Europe de Roxy Music, Protection de Massive Attack, et All Apologies de Nirvana.
Interview Frédérick Rapilly (mars 2002)
Album 18 (Labels/Mute), sortie le 11 mai
Single : We are all made of Stars